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11 février 2017

Les Baha'is, toujours persécutés en Iran


Ecole baha'i, Téhéran 1912

 Illustration trouvée sur le blog Worldwide Community of Baha'u'llah


Introduction :

Cet article date de novembre 2015. Je l'ai écrit pour le site du CRIF, où il a été publié le 27 de ce mois là, après avoir assisté à un colloque à l'invitation des Bahai's de France.

J.C

J'ai eu le privilège d'assister à un colloque au Sénat, le 12 novembre dernier, sur le thème "Persécution des Baha'is en Iran : comment promouvoir les libertés fondamentales". Il était organisé par les représentants de cette minorité religieuse en France, et sous le haut patronage de l'amicale parlementaire de soutien aux Baha'is, amicale nouvellement formée et regroupant une trentaine de Députés et Sénateurs.

Rappelons le contexte de ce colloque : le Président iranien Rouhani était attendu à Paris quelques jours après, avec une large couverture médiatique, dont la ligne générale et prévisible était celle adoptée suite à l'accord sur le nucléaire. En résumé : "l'Iran a changé, car les modérés sont au pouvoir". Or pour les Baha'is, rien n'est changé, au contraire les persécutions ont même été aggravées pour cette religion non reconnue. Le lendemain de ce colloque, les horribles attentats de Paris allaient avoir comme conséquence, on le sait, l'annulation de ce voyage et la disparition de l'Iran des manchettes de l'actualité.

Pour mémoire, la foi bahá’íe est une religion monothéiste, proclamant l'unité spirituelle de l'Humanité. Elle a été fondée par un Persan, Mirza Husayn-Ali-Nuri en 1863, et par ses racines, c'était un mouvement chiite ésotérique. Persécuté, son fondateur dit "Baha-Allah", dut fuir l'Iran et il fut longtemps emprisonné à Acre (Acco), alors partie de l'Empire Ottoman. Son fils ainé vécut aussi dans le futur Israël, et il fit construire sur le Mont Carmel un mausolée  et le centre mondial de la nouvelle religion à Haïfa. Ayant une activité missionnaire dynamique, les Baha'is sont entre 5 et 7 millions, répartis partout dans le monde et dont très peu sont d'origine perse. Par contre, 300.000 vivent encore dans la République Islamique d'Iran, qui leur refuse toute existence légale, contrairement aux trois religions tolérées : Chrétiens, Juifs, et Zarohastriens. 

Dans le dossier très documenté qui nous fut remis, figurait le bilan actuel des persécutions : 74 Baha'is sont incarcéréS sous des fausses accusations ; parmi eux, les 7 responsables de la communauté, condamnés à une peine de 20 ans de prison depuis 2008. Plus de 6.300 incitations à la haine, articles, vidéos et pages Internet, ont été recensées rien que pour la période de janvier 2014 à mai 2015.  L'accès aux universités publiques et privées, continue de leur être refusé. Des pressions économiques diverses - fermetures de magasins, licenciements - leur rendent la vie encore plus difficile. Des agressions physiques récentes, et même le meurtre d'un Baha'i dans la ville de Bandar Abbas ont été enregistrés depuis 2013. Enfin, cette persécution n'oublie même pas les morts, puisque en 2014 un cimetière historique a été détruit à Chiraz. Pour rappel, au début des années 1980, plus de 200 baha’is, parmi les membres les plus actifs, ont été exécutés pour avoir refusé de se convertir à l’Islam.

Trois parlementaires, le Sénateur Karoutchi président de l'amicale de soutien, et les députés Michel Herbillon et Guy Geoffroy, devaient prendre la parole. Roger Karoutchi a été très clair concernant l'élection de Rouhani et les espoirs nés en Occident : "c'est un habillage" a-t-il dit, se demandant si son élection n'avait pas pour but premier que la levée des sanctions, et remarquant qu'aucun changement concernant les Droits de l'Homme n'était encore enregistré en Iran.

Le politologue Khattar Abou Diab a fait un brillant exposé sur le contexte géopolitique. Il a rappelé que la révolution islamique de 1979 a été le point de départ du discours religieux dans la politique régionale. Le culte des martyrs, avec les enfants soldats de la guerre contre l'Irak, vient aussi du régime iranien, qui a même imposé une forme inédite de pouvoir avec la main mise de la religion chiite sur les rouages de l'Etat. Les Américains, suite à la guerre d'Afghanistan et à l'invasion de l'Irak, ont offert au régime la disparition de menaces sunnites à ses frontières ; au contraire, il se vante maintenant d'occuper indirectement quatre états arabes. Sur le plan intérieur, on assiste actuellement à un nombre record d'exécutions. "Il ne faut pas avoir peur de l'Iran", pense-t-il malgré tout.

Rachel Bayani, membre de la communauté internationale baha'i qui a travaillé pour les Nations Unies, a rappelé qu'un mémorandum datant de 1993 interdit aux Baha'is de suivre des études universitaires, et donc que le projet de les étrangler économiquement est très clair : on veut en faire une minorité sous-éduquée, donc contrainte à la pauvreté.

Saeed Paivandi, d'origine iranienne, est maitre de conférence à l'Université de Paris 8. Spécialiste de l'éducation en Iran, il nous a appris que les textes de l'Islam chiite sont au centre du projet éducatif. 25 à 30 % du temps scolaire sont consacrés à cette religion, mais au delà dans les ouvrages d'Histoire ou de Littérature le Chiisme a une place fondamentale. Dans tous les manuels scolaire, les Baha'is sont traités d'apostats, d'immondes ou d'impurs. Leurs enfants doivent garder le silence à l'école, par peur d'humiliations et de violences.

Hamdam Nadafi a rédigé une thèse de doctorat sur la "Liberté de religion dans les Etats de Droit Musulman". Elle a rappelé les fondements théocratiques de l'Etat iranien, qui impose la prédominance du droit "d'origine divine" et le système dit du "Velayat e-faqih" qui accorde les pouvoirs de fait à des dignitaires chiites. Alors que la doctrine officielle accorde le pouvoir spirituel au "Guide suprême" censé représenter "Le 12ème Imam caché", la religion Baha'i qui a dévié du Chiisme est naturellement persécutée. Les promesses de "Charte" du Président Rouhani pour promouvoir les libertés ne changeront rien, tant que la constitution ne change pas.

Mohamed-Chérif Ferjani, franco-tunisien et professeur de Science Politique, devait souligner l'utilisation récurrente des minorités comme boucs émissaires. La persécution des Baha'is témoigne du retard des libertés dans les pays musulmans.

Claudine Attias Donfut, sociologue, devait souligner l'extrême cruauté qu'il y avait à interdire à une minorité religieuse le droit de se réunir lors d'enterrements ou dans des lieux symboliques comme les cimetières.

Enfin Ghaleb Bencheikh, théologien et Président de la "Conférence Mondiale des Religions pour la Paix", devait dire à son tour combien le sort des Baha'is d'Iran était intolérable. Pour lui, dans une vaste partie du monde musulman on assiste à une "crétinisation des esprits" et à la "crainte d'autrui". Le degré éthique d'une société se mesure à son traitement des minorités, et il a réclamé des Autorités françaises un engagement fort en ce sens.

Jean Corcos