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03 décembre 2017

« L’islam est un masque derrière lequel se cache le gouvernement iranien »

Conversation avec Shirin Ebadi animée par Christophe Ayad, 
dans le cadre du Monde Festival / Lucas Barioulet pour Le Monde 
 

L’avocate iranienne Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix 2003, était l’invitée du Monde Festival à l’Opéra Bastille, dimanche 24 septembre. Elle a témoigné de son combat pour les droits humains et la cause des femmes.


Sa détermination n’a pas faibli avec les années. Invitée du Monde Festival, dimanche 24 septembre, l’Iranienne Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix 2003, a défendu en farsi le peuple iranien avec une constante ténacité. L’avocate des droits humains, qui vit en exil forcé depuis 2009 à Londres ne s’est, durant une bonne heure, pas départie d’une colère froide contre le gouvernement iranien.

Son exil, a-t-elle raconté, elle ne l’a pas voulu, il l’a prise par surprise. En 2009, elle donnait une conférence à Majorque quand ont eu lieu les élections truquées par les partisans de Mahmoud Ahmadinejad. Les manifestations — pacifiques — de protestation qui éclatèrent aussitôt furent violemment réprimées. Ses collaborateurs et amis qui furent arrêtés l’adjurèrent alors de rester à l’étranger… pour témoigner.
Au Monde Festival, l’avocate a raconté comment son mari, soumis à un chantage du régime, a dû la dénoncer comme agent de l’Amérique à la télévision iranienne. « Il a été piégé par une prostituée et filmé à son insu. En prison, la police l’a obligé à lire publiquement un texte me dénonçant, pour échapper à la lapidation dont est passible l’adultère », a-t-elle expliqué pour mieux dénoncer la perversité du régime : « Utiliser des prostitués pour piéger des personnes est en contradiction avec toute logique islamique. L’islam est un masque derrière lequel se cache le gouvernement iranien. »


Shirin Ebadi, première femme juge de l’histoire de l’Iran, en 1974, qui a vu ses ambitions brutalement stoppées lorsque cinq ans plus tard la révolution islamique dénia aux femmes le droit d’être juge, n’a pas trouvé trop à redire du récent discours de Donald Trump devant les Nations unies. Un discours qu’il n’a « heureusement » pas improvisé mais qui lui avait été préparé, a-t-elle souri. « Oui, la démocratie est une farce en Iran, a-t-elle soutenu. Trump a dit que le gouvernement iranien avait peur de son peuple, et c’est vrai. »
  
« Des sanctions politiques plutôt qu’économiques »

L’avocate n’a pas manqué néanmoins de relever un point sur lequel se fourvoient les Etats-Unis. « Le problème avec l’Iran n’est pas le nucléaire, assure Shirin Ebadi, mais la politique étrangère menée par le gouvernement et avec laquelle le peuple iranien n’est pas d’accord, la sachant injuste. L’Iran investit beaucoup d’argent en Syrie, au Yémen, et pendant ce temps-là il ne construit pas des écoles, des hôpitaux dont pourtant le pays manque. Cette politique augmente la pauvreté. L’Iran est riche mais son peuple est très pauvre car tout va aux dépenses militaires. »
Shirin Ebadi a dénoncé les sanctions économiques à l’égard de l’Iran, « qui affaiblissent, non le gouvernement, mais le peuple iranien ». « Ce sont des sanctions politiques et non économiques qu’il faut infliger au régime iranien, il faut lui fermer le micro », lance-t-elle. Tout en appelant les démocraties occidentales, et la France en particulier, à couper l’accès du gouvernement iranien aux satellites, à commencer par le satellite français Eutelsat, qui lui permet de divulguer sa propagande sur de nombreuses chaînes de télévision, en Iran et en dehors. « Le gouvernement, insiste-t-elle, a signé l’accord sur nucléaire car il a eu peur que le peuple fasse une nouvelle révolution, se soulève contre lui. Il a signé pour avoir moins de sanctions économiques et ainsi moins de contestations de la population . »
Avec la Chine, l’Iran est le pays où il y a le plus d’exécutions, a-t-elle rappelé. Et il y a six cents ou sept cents personnes emprisonnées pour leur opinion ou leur croyance. Un chiffre approximatif, précise-t-elle : « Les emprisonnements nous sont signalés par les familles, le gouvernement se gardant bien de les dénombrer officiellement. Or nombreuses sont les familles qui n’osent pas dire qu’un des leurs est en prison. »

La société iranienne évolue

Shirin Ebadi qui, brisée dans sa carrière de juge, a décidé de devenir avocate pour prendre la défense de ceux — et surtout de celles — que la République islamique d’Iran opprime, n’a pas manqué de dénoncer une nouvelle fois les lois discriminatoires à l’égard des femmes, proclamées après la révolution de 1979. En s’attachant à en fournir des exemples pour en donner la pleine mesure. Ainsi, en Iran, un homme peut-il épouser quatre femmes. La vie d’une femme vaut la moitié de la vie d’un homme. Et d’illustrer : « Si mon frère et moi sommes fauchés par une voiture dans la rue, les indemnités versées à mon frère seront le double des miennes. »
Séance de dédicaces avec Shirin Ebadi Lucas Barioulet pour Le Monde
Plus que l’islam, c’est le patriarcat que Shirin Ebadi incrimine. Mais elle se dit confiante, car la société iranienne évolue. Et elle est aujourd’hui persuadée que le peuple iranien, « l’un des plus séculiers du Moyen Orient, veut une démocratie laïque, souhaite la séparation de la religion et de l’Etat ».
« Le gouvernement s’acharne à dire que l’Iran est islamique. L’Iran est une civilisation vieille de deux mille ans qui, avant [de connaître] l’islam, a eu un grand empire. Mais aujourd’hui, les Iraniens ne veulent pas un empire mais simplement un pays où bien vivre », assure-t-elle
Une certitude qui lui donne l’énergie de poursuivre son combat, convaincue qu’elle peut être influente dans son pays sans y vivre. « Le fait que je sois en exil élève ma voix. J’ai la voix qui porte plus en exil que si j’étais en Iran », explique Shirin Ebadi, qui dit en fait vivre « dans les aéroports. Je passe, dit-elle, dix mois par an à voyager dans le monde pour élever la voix du peuple iranien. C’est mon rôle, mon devoir. »

Le Monde, 26 septembre 2017